
Brice KartmannDamien Monnier
Au Nord/Journées Blanches
L’horizon n’en est pas un, l’horizon c’est soi.
Au nord/Journées blanches propose et questionne notre expérience de la ville. Celle de trentenaires qui recherchent des cadres encore intacts de terrains vagues explorés dans les années 80. Celle d’une génération hors centre-ville, n’ayant plus qu’à considérer, avec circonspection depuis les périphéries, les lisières de la ville, ce qu’il reste d’une période postindustrielle. Héritiers d’une réalité, celle de la croissance passée sur laquelle ils n’ont pas prise, des jeunes gens passent, errent, s’échappent. L’atmosphère des infrastructures et des chantiers périurbains dépeint ce qui, malgré nous, nous conditionne et nous dépasse pour traduire un sentiment de distance, parfois de désarroi. Les trajets de nos regards glissent des bords du fleuve vers ceux des voies ferrées, des autoroutes et autres périphériques, là où la démence industrielle, en sites bien protégés, déploie sa verticalité et affiche son étonnante technicité.
Au nord/Journées blanches est d’abord fait des états dans lesquels se trouvent les quelques hommes et femmes qui le peuplent en considérant le monde qu’on se paye. Ces états traduisent une conscience aigue, forcée. De ceux d’un long temps passé hors de repères habituels pour ne pas dire normés. Comme au bout d’une nuit blanche ou d’une journée passée dans le chagrin, le regard se décille pour faire d’une chose quotidienne, une chose exotique. Comme un voyage sur place permettant à ces regards neufs et curieux de s’arrêter, à des images de se former, de resurgir. Ça devient de l’aventure avec ce que ce type d’aventure comporte de violence. Les regards se fixent. Le silence comme besoin. Les précarités de ces figures muettes affleurent avec dureté. Dans une même tension : la possibilité et l’impossibilité de se mettre en mouvement. Dans une même intensité : se rapprocher de soi, du monde. Mirage de l’horizon qui n’en n’est pas un, l’horizon c’est soi.
Au contact de ces héritages et de ces flux, les chemins de traverse s’empruntent. Le temps d’un écart choisi et comme défiant ces absurdités néanmoins vitales, le décollement opéré visà-vis de ces réalités se transforme en plaisante expérience d’un intense présent. Parfois c’est de l’amour, alors jouissance et douleur se côtoient au creux d’un même instant.




PROCESSUS DE CRÉATION
Au début il y a la proposition d’écoute d’une composition à la guitare de Brice pour voir ce que ça évoque à Damien. Sept minutes de déambulation lointaine aux allures de voyage intérieur ou de voyage dans le temps : des sonorités assez sèches et cristallines, de l’ailleurs sur place. En réponse, des images vidéo de flux routiers, de voies ferrées et de dessous de ponts, de lumières de nuit peuplées par des figures muettes, parcourant ces espaces intermédiaires. Aller-retour. Et très vite l’idée du ciné-concert. De suite après, celle de tourner les images en Super 8. Pour insuffler à la prise de vue, l’intensité de l’enjeu du live à venir. Pour faire coïncider la teneur des images à celle de la musique. Le choix du noir et blanc pour travailler la tension du regard et un décollement d’avec le réel.
Cette dynamique de l’aller-retour entre la composition sonore et la réalisation d’images est le principe de travail que nous avons adopté pour Au nord/Journées blanches. Parfois on part de l’image, parfois du son. L’un et l’autre se rencontrent par ajustements et tâtonnements réciproques. Les images sont de trois sortes : les images Super 8 noir & blanc, les images Super 8 couleur et les diapositives noir & blanc. Les sources sonores sont constituées de prise de sons d’ambiance réalisées lors du tournage des plans Super 8, de compositions à la guitare et à la basse électrique ainsi que des ondes de synthétiseur, analogiques et numériques, séquencées ou non. Un radio cassette est présent aux côtés des bruits mécaniques du projecteur Super 8.
Composition, programmation, guitare et basse ⎪ Brice Kartmann
Images & projection ⎪ Damien Monnier