
Coraline CauchiSerres Chaudes
Clean me up
D’où vient l’idée de ce projet ?
"Ils nettoient les scènes de mort". Un article sur internet il y a un an. L’histoire de Patrick et Catherine, entre nettoyage 3D (Désinsectisation / Désinfection / Dératisation) et vie de couple, entre produits phytosanitaires et gestion des émotions. J’ai pensé qu’il y avait là une formidable matière à théâtre, dans laquelle il serait possible d’explorer certaines thématiques déjà à l’oeuvre dans mon travail : le rapport à la mort / les cellules sociales du couple et de la famille / les questions d’identité / le corps.
C’est un peu morbide, non ?
Non. Je crois que dans nos sociétés occidentales il y a à la fois un tabou très fort et des fantasmes plus ou moins morbides ou cyniques autour de la mort et de son imagerie. La mort ce n’est pas que le poétique passage à l’au-delà… La mort comme enjeu social et économique, au-delà de l’aspect émotionnel. La mort au sein d’un système marchand. La mort dans tout ce qu’elle a de plus cru et de plus concret : le corps en décomposition, les tissus, les fluides corporels, les bactéries… Je voudrais aussi questionner le corps au travail, la construction culturelle du deuil, la manipulation des émotions. Mes références en la matière sont plutôt des séries américaines très stylisées et à l’humour noir comme "Six Feet Under", ou le film "Sunshine Cleaning" qui raconte comment deux soeurs se lancent dans une entreprise de nettoyage à domicile, ou encore des auteurs écrivant de manière froidement décalée sur des thèmes tragiques, comme Olivia Rosenthal ou Christian Lollike (dramaturge suédois). Et puis je souhaite que le projet s’articule de manière double, en s’intéressant d’une part au couple de nettoyeurs : leur quotidien personnel et professionnel, leurs angoisses, leurs obsessions, leurs croyances, leurs contraintes pratiques, leurs fous-rires aussi peut-être (cet univers macabre aux situations limites n’étant pas dénué d’ironie et d’absurdité) ; et d’autre part, en revisitant le parcours des victimes, des suicidés, des morts oubliés (qu’est-ce qui se passe quand on retrouve une personne décédée plus de trois semaines après sa mort ? comment on nettoie un crépis incrusté de sang ?...).
« La viande froide C’est du tout cuit C’est ce que je me dis Et puis j’en ris » Viande froide, Olivia Rosenthal





Comment va se construire le travail ? C’est très différent de ce que tu as pu faire jusqu’à maintenant ?
Ce n’est pas si éloigné de mes précédents projets. Au niveau de la thématique cela peut être surprenant, bien que ces questions de rapport au corps soit depuis toujours à l’oeuvre pour moi, mais au niveau de la manière d’écrire un projet, je pratique depuis longtemps l’adaptation et le montage. Lorsque j’ai composé mon projet de sortie du conservatoire en 2006, « Je jure que je ne suis pas ce que je joue », c’était déjà un montage de textes, sur les femmes : comment le corps féminin vit les pressions extérieures et les passions internes. Dans Les règles du savoir-vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce que j’ai adapté et mis en scène en 2007, il est question des protocoles de conduite dans toutes les situations de la vie : comment le corps doit se mouler à l’ordre moral et social. Avec L’Amant(e) d’après le roman de Marguerite Duras, je recompose aussi un texte en l’adaptant pour 2 comédiennes : comment le corps d’une jeune fille brûle, de désir, de colère, de vie. Ici le projet s’écrira donc de manière plurielle et sera fait de matériaux hétérogènes : fragments de textes dramatiques, extraits de romans, essais, écrits documentaires, articles depresse, articles scientifiques, improvisations, photos…
A ce jour sept auteurs ont été invités à me livrer des bribes de fictions, des scènes, des monologues… du combustible pour un travail de plateau envisagé avec quatre comédiens. Je leur ai donné l’article de presse qui est le point de départ de ce projet avec pour consigne : écrivez ce que vous voulez, ce que vous inspire cette situation.
Ce processus de collectage et de commandes d’écriture nous permettra d’être au plus près de notre sujet et des modes de narration que nous estimerons les plus justes pour en rendre compte.
Direction du projet │ Coraline Cauchi
Collaboration artistique │ Céline Cartillier
Interprètes │ Charly Totterwitz, Hélène Stadnicki, Emilie Prévosteau, Vincent Dedienne
Auteur(e)s invité(e)s │ Antoine Cegarra, Pauline Peyrade, Solenn Denis, Amine Adjina, Sabryna Pierre, Lucie Depauw
Conseils graphiques │ Etienne Périn