
Hélène Rocheteau
La nuit manquante
Dans ma première pièce, BLAST, j’interrogeais - en résonance avec un batteur présent au plateau avec moi - cette énergie primitive, archaïque, qui nous compose. à la rencontre de ces forces qui nous fondent. Suite à ce premier geste, j’ai eu le désir d’approfondir ma recherche autour de ce corps brut, libéré de codes techniques et d’un modèle représentatif, en expérimentant une sorte de transe. Convoquer cette grande puissance de vie en l’accueillant dans un corps imprévisible et insoumis, en marge d’une soi-disant «normalité». Ce corps-là, quelle place on lui fait ? Explorer cette tension entre instinct et culture : comment on arrive, ou non, à lâcher prise, comment on résiste, rattrapé par toutes nos constructions, ce qui fait de nous un être social, nous rassure et nous tient debout, seul, et parmi les autres. Ce trajet, avec ces allers-retours, ces va-et-vient, le chemin frayé pour accueillir ou repousser cette «chose» difficile à nommer, à identifier, mais qui est là tapie au fond de nous, dans l’obscurité de notre conscience et de notre corps. Comment accueillir le singulier, l’étrange en nous – laisser sortir nos monstres. Et les donner à voir. Et si l’étrange n’était pas une exception, mais la règle de notre rapport au monde ? La Nuit Manquante se situe là. C’est cette zone trouble, au plus près de la vérité de notre être, que l’on désire tout autant que l’on craint. Avec laquelle on s’arrange, avec laquelle on se débat, que l’on contourne, où l’on plonge parfois - et qui nous échappera toujours.
Le corps de La Nuit Manquante #1 est saisi à travers une combinaison de forces qui s’affrontent, aux prises avec cette matière brute, infinie qui veille en chacun de nous et échappe à toute saisie organisatrice. Un corps face à sa propre opacité. Une plongée en soi, dans cet espace vertigineux que l’on porte tous. Corps transi, vibrant, parfois exultant, extatique. Un déversement de toute la mémoire sensorielle inscrite dans le corps ; tout ce qu’on arrive plus à contenir. Avec des réveils, des sursauts, des retours à soi, des torpeurs. Entre débordement et immobilisme. Traversé par une infinité de possibles : des images universelles, des figures, des signes énigmatiques ou archétypaux. En constante métamorphose, pris dans une danse où rien n’accroche, rien ne s’affirme, révélant diverses strates, entre surface et profondeur, visible et invisible, tension et abandon, lucidité et folie, désir et peur, forme et informe. Comme dans la matière d’un rêve. Sans logique. Sans résolution. Happé, se laissant transporter dans un ailleurs. Dans un espace souvent réduit, concentré, le corps évoluera sans autre appui que lui-même, que sa matière propre. Afin que le regard du spectateur soit dirigé, focalisé à cet endroit du corps seul, sans autre choix que de pénétrer cet espace qui s’ouvre devant lui.
Hélène Rocheteau




lumière
Avec des sources lumineuses en partie manipulées au plateau, jouer sur les textures et les densités visuelles, faire fonctionner l’oeil tactile du spectateur. Donner plusieurs dimensions à ce corps-monde. Attiser les projections. Brouiller les contours, créer une tension entre abstrait et figuré. Faire apparaître des figures instables, des formes en sursis, en devenir, en déclin. Des fragments, pour rêver le reste. Des trous noirs, des bouches d’ombre, des béances, des gouffres. Jouer avec les contrastes – ambiance très sombre ou aveuglante... Une lumière qui suggère, qui annule, qui déforme... pour un corps de tous les possibles.
son
Le musicien va tordre, transformer la matière-son : déconstruction, distorsions, ralentissements, accélérations... En jouant sur le volume et différentes textures sonores, cette matière-son sera soutien, appui, surface ; lointaine ou très présente ; disparaîtra pour laisser la place aux sons produits par le corps de la danseuse – ou au contraire viendra tout envahir... Réminiscences, échos, chaos sonore... Une création qui brouille les pistes dans un mélange de référencé et expérimental.
Chorégraphe, danseuse│Hélène Rocheteau
Créateur son│Jean-Baptiste Goeffroy
Concepteur lumière│Pascale Bongiovanni
Assistante à la chorégraphie│Clothilde Alpha