
Serres ChaudesCoraline Cauchi
La théorie de l'hydre
En 2014 je démarre le projet Clean Me Up, en invitant cinq auteurs de théâtre contemporain à écrire une fiction commune à partir d'un article de presse racontant le quotidien d'un couple de nettoyeurs de scènes de morts violentes. Entre nettoyage 3D (Désinsectisation / Désinfection / Dératisation) et vie de couple, entre sentiments et produits phytosanitaires, nous cherchons ensemble une forme d'écriture scénique et textuelle interdisciplinaire pour éclairer la vie de ce couple et sa relation à la mort. Nous spéculons sur ces fantômes qui cohabitent et accompagnent nos quotidiens, sur cette vie en négatif qui intensifie, accélère ou endolorit le présent.
Très vite m'est apparu que les matériaux proposés par l'auteur Antoine Cegarra prenaient une trajectoire singulière, creusant la thématique et les enjeux tout en s'en affranchissant. Je lui ai alors proposé de poursuivre son écriture mais de l'orienter vers la création d'une pièce courte indépendante, un monologue pour un acteur. J'ai imaginé l'existence d'une forme satellite au projet Clean Me Up, un spectacle plus léger et ramassé en durée qui pourrait être proposé parallèlement aux représentations de Clean Me Up, comme un écho, une déviation. Cette forme pourrait se jouer dans des théâtres, mais aussi des lieux non théâtraux (médiathèques, salles des fêtes...) grâce à un dispositif technique léger et autonome.
Ainsi est né La Théorie de l'Hydre.
Ce monologue met en jeu un nettoyeur de scènes de morts violentes. A un moment décisif de son existence, il nous parle de son métier et du commerce de la mort. Cet homme encore jeune nous livre ses pensées, sa solitude, son rapport difficile aux clients, et ce goût amer d'une mort considérée comme une étrangère et une ennemie dans nos sociétés occidentales modernes. En remontant le fil du temps, et bercé par l'assourdissant fracas de la crise qui bouleverse économies et nations depuis 2008, cet homme dresse tout autant son propre rapport à la mort que la lente disparition d'un monde voué aux ruines.
C'est un texte dense et poétique, violent et touchant à la fois, aux ramifications sociales et métaphysiques, dont la langue mêle la réalité la plus triviale à une rêverie sur la formation de l'univers et la notion d'infini. C'est une Théorie de l'effacement, de l'oubli, autant que de l'apparition des images.
Coraline Cauchi





Un homme, au moment de sa mort, déploie une parole solitaire et fragmentée, comme de multiples pensées qui remonteraient le fil d'une mémoire dispersée.
Cet homme, aux origines incertaines, vit dans un monde en crise qui pourrait évoquer l'Europe contemporaine. Il nous parle du lien qui unit les vivants et les morts, des multiples rituels qui ordonnent ce passage vers l'au-delà, et du grand marché qui en a pris, comme dans tant d'autres domaines, possession. Car son métier le lie singulièrement à ce commerce : il est nettoyeur de scènes de morts violentes.
En cas de suicides, décès accidentels, meurtres..., il intervient pour rendre aux lieux leur propreté, pour faire disparaître toute trace des disparus. Il semble nourrir à l'égard des vivants une aversion proportionnelle à l'obsession qu'il voue à cette activité. Il paraît regretter la place qu'entretenaient les morts dans les communautés anciennes, tout en contemplant cette disparition sans ciller. Produit de son époque, il semble avoir cédé comme d'autres à l'ironie et à l'individualisme comme armes de survie. Il s'abandonne aux ruines de son temps.
Mais peu à peu se fissurent ses certitudes et se mêlent à son récit d'un présent vacillant les souvenirs d'un monde disparu et les descriptions rêveuses de phénomènes spatiaux et de la formation de l'univers.
C'est un Ulysse sans terre – tout a été vendu, est à vendre, tout se monnaye au pays où l'on peut tout devenir. Alors pourquoi pas nettoyer les tâches visibles de l'irréparable ? Comme une manière d'insister, de frotter encore, une dernière fois, pour faire apparaître les os et leur lumineuse blancheur, comme les astres dispersés de civilisations disparues.
La Théorie de l'Hydre est un chant de mort empreint de tendresse et d'humour, une archéologie de la mémoire, une petite variation sur l'effondrement du monde – et sa naissance –, entre passé entêtant et futur angoissé.
Antoine Cegarra
Texte ⎪ Antoine Cegarra
Mise en scène ⎪ Coraline Cauchi
Dramaturgie ⎪ Céline Cartillier
Création sonore ⎪ Rémi Billardon