
Antoine FravalEn collaboration avec Augusto Corrieri
WHEN YOU TALK ABOUT “THE SWIMMER”
Ce nouveau projet chorégraphique s’inspire directement du film culte « The Swimmer », dans lequel Burt Lancaster se met en tête de rentrer chez lui à la nage, en traversant une série de piscines qu’il rencontrera sur son chemin. Cette performance est une tentative, celle de « rejouer » le film mais aussi une réflexion sur les thèmes qui traversent l’oeuvre originale, la déchéance morale et physique, l’ambition et la difficulté de conserver ce qui nous est cher.
Formé en Angleterre, Antoine Fraval, artiste performer, a co-fondé le groupe Deer Park et collaboré sur les projets de Lone Twin Theatre. Augusto Corrieri est un artiste performer et écrivain vivant à Londres.
Nos souvenirs sont faits de films: selon le théoricien Stephen Barber, on se rappelle “filmiquement”, la formation actuelle du souvenir est indissociable du film et de son langage (Stephen Barber, Abandoned Images). Comment les films s’inscrivent-ils dans nos corps ? Comment des séquences d’images et de sons s’emparent-elles de nos vies ? Peut-être que les films ne sont pas des choses statiques, mais plutôt des processus d’interactions synaptiques qui vivent et respirent, que nous formons et continuons de reformer tout au long de notre vie. Au milieu des années 60, dans la campagne luxuriante des environs de New York, un homme dans la force de l’âge, Ned Merrill, décide de retourner chez lui en traversant à la nage toutes les piscines qu’il croisera sur son chemin. Voilà le simple postulat du film The Swimmer, dans lequel on voit le héros Burt Lancaster au cours d’une seule journée aller de piscine en piscine, rencontrant des gens sur son chemin, en découvrant graduellement le vide terrible qu’il y a au coeur de sa vie…
Dans cette nouvelle collaboration, Augusto et moi-même avons commencé à considérer le film de 1968 The Swimmer comme une source clé de notre recherche, car il contient quantité de thèmes et de questions ouvertes ayant toujours pour point de départ le corps de nageur de Burt Lancaster. The Swimmer est un film grand public assez unique, son intrigue et sa structure consistant au parcours d’un homme de piscine en piscine, au cours d’une seule journée. Au long de cette journée, le film retrace les excès de la culture consumériste américaine, les divisions de classe oppressives, le rapport des sexes et l’ethnicité, et l’inhabilité du héros à chérir ce qui est important. La connexion entre tous ces thèmes et d’autres encore se fait à travers l’acte de nager de Burt Lancaster. Chose sans doute très inhabituelle pour un film hollywoodien, on nous montre ici la vie de quelqu’un se déliter, sans aucun espoir ni aucune explication. Le poster du film original l’atteste en toutes lettres : ‘When you talk about The Swimmer, will you talk about yourself?’ Il se trouve que je nage aussi dans la vie d’Antoine Fraval ; il m’arrive souvent de penser à Neddy tandis que je fais mes longueurs de crawl plusieurs fois par semaine. Je m’imagine alors finir la longueur avant de sortir de la piscine pour prendre un verre qu’on me tend, entamer une conversation mondaine avec de vieilles connaissances, et soudain avoir l’idée saugrenue de traverser toutes les piscines des amis d’antan que je rencontrerai sur mon chemin avant de rentrer chez moi.


Bien sûr, la tache est impossible et la tentative de passer pour Neddy vaine et perdue d’avance ; comment me hisser à la hauteur d’un homme de la trempe de Burt Lancaster sans être certain de me ridiculiser aux yeux du public ? Je ne pourrais jamais rivaliser avec Burt, on ne verra qu’un acteur vieillissant, à moitié nu, fragile et peut-être même pathétique. Le titre provisoire du projet est ‘When you talk about The Swimmer will you talk about yourself?’ Le concept initial qu’Augusto et moi-même souhaitons tester et creuser plus loin en studio, est de rejouer le film scène par scène, en séquence. Nous souhaitons traiter The Swimmer comme une partition à plusieurs niveaux qui peut être à nouveau lue et interprétée. Traditionnellement, la partition d’un danseur ne concerne que des séquences de mouvement : par exemple, place tes mains en haut à droite, pivote lentement, … etc. Que se passe-t-il quand le performeur se sert du film en entier comme d’une partition pour une pièce ? Telle une partition, le film peut être interprété musicalement, chorégraphiquement, parfois même dramatiquement. Par exemple, alors qu’il écoute le générique de début au casque, le performeur solo recrée tous les sons et la musique, à la manière d’un bruiteur professionnel. Ou bien il reproduit des bribes de dialogue et de voix d’acteurs ; il recrée leurs mouvements, et les mouvements de la caméra – le mouvement tout en douceur d’un travelling shot ou les effets d’un gros-plan soudain. Par endroits, il pourrait appuyer sur ‘pause’, et commenter sur les parallèles possibles entre sa propre vie et le film. Dans ce projet, j’explore des façons d’utiliser le corps dans l’espace pour sculpter le film, en direct. La tâche est de ‘refaire’ le film : il ne s’agit pas d’adapter l’intrigue et les dialogues sur le plateau, mais plutôt de travailler avec tous les éléments, y compris, par exemple, le générique de début, un long gros plan sur l’oeil de Lancaster, ou encore une envolée d’oies sur le départ. Le corps du performeur devient un site multiple : le corps est le corps d’Antoine Fraval, l’auteur de la pièce. C’est aussi le corps d’Antoine Fraval, le sujet de la pièce, quand il parle de ses propres habitudes de nageur, et compare son corps vieillissant à celui de Burt Lancaster. C’est le corps de Ned Merril, et de Lancaster. C’est le corps d’autres acteurs dans le film. C’est le corps du logo de Columbia Pictures ; et le corps du cameraman qui glisse le long de la piscine en travelling shot, filmant le visage de Neddy en gros plan…
Je cherche aussi à inverser ici le processus qui permet au spectateur, d’ordinaire, de façon consciente ou inconsciente, de s’approprier ce qu’il voit et entend par l’intermédiaire de références qui lui sont déjà familières. Pour celui qui connait le film, il s’agit d’une revisite. Pour celui qui ne le connait pas encore, je veux inviter le spectateur à accepter ces références « vivantes » qu’il pourra retrouver s’il a envie de visionner le film par la suite.
Antoine Fraval
Performance ⎪ Antoine Fraval
Dramaturgie ⎪ Augusto Corrieri